18.06.2019
Décisions du Tribunal pénal fédéral BB.2018.190 et BB.2018.197 du 17 juin 2019



Par deux décisions du 17 juin 2019, la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral a admis les demandes de récusation formées par deux prévenus à l’encontre du Procureur fédéral de la Confédération, de l’ancien Procureur fédéral en chef ainsi que d’un procureur de la Con­fédération. Elle les a rejetées pour les autres membres de la Taskforce du Ministère public de la Confédération (ci-après: Taskforce, ou Taskforce du MPC). Cette Taskforce a été mise sur pied par le MPC depuis 2015 dans le cadre d’enquêtes ouvertes par le MPC du chef d’infractions contre le patrimoine. Infractions qui auraient été commises au détriment de la Fédération Internationale de Football Association (ci-après: FIFA), partie plaignante dans la procédure.

En substance, les deux prévenus reprochent au Procureur de la Confédération d’avoir eu des rencontres les 22 mars, 22 avril 2016 ainsi qu’une troisième le 16 juin 2017(révélée pendant la présente procédure par la presse) avec le Président de la FIFA. Ils reprochent à l’ancien Procureur fédéral en chef d’avoir également été présent à la rencontre du 22 avril 2016 aux côtés du Procureur de la Confédération et d’avoir entretenu des contacts étroits avec le chef du service juridique de la FIFA en place jusqu’au 20 août 2018. Selon les requérants, les rencontres litigieuses, révélées par la presse et, ensuite, admises par le Procureur de la Confédération sont de nature, au sens de l’art. 56 let. f CPP, à rendre le Procureur de la Confédération, son ancien Procureur en chef et l’ensemble de la Taskforce suspects de prévention.

En ce qui concerne le Procureur de la Confédération, celui-ci a reconnu avoir participé à deux rencontres de coordination non soumises à verbalisation. La prise de position consistant à dire que hiérarchiquement le Procureur de la Confédération s’est contenté, en participant à ces rencontres, d’exercer sa tâche de directeur du parquet fédéral au sens de l’art. 9 de la LOAP et que cette tâche ne serait pas incompatible avec une procédure indépendante n’a pas convaincu. Tout d’abord, les explications du principal intéressé ne permettent pas de comprendre pourquoi sa présence auxdites rencontres auraient été indispensable au bon déroulement des enquêtes, cela d’autant moins que la Taskforce FIFA se réunissait régulièrement depuis 2015 afin de définir la stratégie à adopter dans les enquêtes en présence des procureurs en charge desdites enquêtes et du Procureur général ainsi que de son suppléant. Lors de l’une des rencontres de la Taskforce, le Procureur de la Confédération avait demandé un rapport écrit de la part du procureur en charge des enquêtes. Sur la base de ce rapport, la direction du parquet fédéral avait communiqué au procureur une décision lui demandant le classement de l’une des procédures du complexe FIFA. Il ressort par conséquent, que le Procureur de la Confédération s’est impliqué personnellement, au niveau opérationnel dans les procédures en examen en allant au-delà de la tâche de directeur du MPC au sens de l’art. 9 de la LOAP.

Quant à l’absence de verbalisation des rencontres, cela est contraire à l’art. 77 CPP ce qui soustrait à tout contrôle, notamment à celui des autres parties à la procédure, le contenu des rencontres querellées. Pareille démarche procédurale, n’est pas conforme à l’art. 3 al. 2 let. c CPP selon lequel un traitement équitable et le droit d’être entendu doivent être garantis à toutes les parties touchées par la procédure pénale. Cela d’autant plus que, sans la révélation des médias, ces rencontres singulières tenues dans des cadres inhabituels – hôtel respective­ment restaurant – n’auraient jamais été portées à la connaissance des autres parties à la procédure. La Cour a retenu que l’ensemble de ces circonstances est objectivement propre à rendre le Procureur de la Confédération suspect de prévention au sens de l’art. 56 let. f CPP, ce qui justifie sa récusation à partir du 22 mars 2016.

Quant au procureur en chef, il a dirigé une procédure du complexe FIFA qui a ensuite été déléguée à un autre procureur lorsqu’il a été nommé à la tête de la division «criminalité économique» du MPC. Il a assisté aux séances de la Taskforce jusqu’à son départ du parquet fédéral. Les requérants invoquent la prévention du Procureur en chef. Hormis sa participation avec le Procureur de la Confédération à la rencontre avec les chefs de la FIFA du 22 avril 2016, le dossier a également permis d’établir l’existence d’un échange de SMS très actif entre ledit Procureur et le chef du service juridique de la FIFA pendant la période comprise entre le 5 janvier 2016 et le 20 août 2018. Ces contacts dépassaient, dans une large mesure, le cadre des règles formelles fixées par le législateur, en laissant apparaitre une séparation manifestement peu claire et précise entre l’accomplissement des tâches professionnelles et l’entretien de contacts privés. A la lumière de ces faits établis et non contestés, la Cour a conclu que la conduite du Procureur fédéral en chef, au moment où il a revêtu ses fonctions, a été objectivement propre à le rendre suspect de prévention au sens de l’art. 56 let. f CPP. Ce qui entraîne sa récusation à compter du 5 janvier 2016.

La Cour a également admis la demande de récusation contre un procureur fédéral qui dirigeait plusieurs enquêtes FIFA. Le dossier a, en effet, permis d’établir que ledit procureur était au courant des rencontres avec le procureur en chef et l’alors chef du service juridique de la FIFA. Il a ainsi pu utiliser ce canal d’informations en dehors des règles prévues par le CPP et sans verbalisation afin de former à travers le procureur en chef des demandes concrètes à la partie plaignante (FIFA). Dans ces conditions, le rôle dudit procureur est de nature à le rendre objectivement suspect de prévention, ce qui justifie sa récusation à compter du 22 avril 2016.

La Cour a rejeté la requête de récusation concernant les autres membres de la Taskforce FIFA puisque, même si certains de ses membres étaient au courant des rencontres litigieuses, rien ne montre qu’ils auraient utilisé ce canal, d’une quelconque manière que ce fût, dans le cadre de la procédure. De façon générale, la Cour n’a pas décerné d’éléments permettant de conclure à la récusation de ces membres de la Taskforce. 


Les décisions du 17 juin 2019 ne comportant pas de mesures de contrainte, aucune voie de droit ordinaire n’est ouverte à leur encontre.

Le TPF renvoie au texte de ses décisions en annexe et ne donnera suite à aucune demande de renseignements complémentaires.

Annexes: Décisions BB.2018.190 et BB.2018.197


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Tribunal pénal fédéral, Mascia Gregori Al-Barafi, Secrétaire générale et responsable médias, Tél. 058 480 68 68, E-Mail: presse@bstger.ch





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